Tu n’avais pas eu d’embêtement particulier ce matin là. Pourtant ton arrivée dans cette école n’avait pas été une mince affaire. Du monde partout, des personnes qui tentent de te parler, certains veulent même être amis avec toi. Tu n’as pas l’habitude de tout ça, et l’être humain a bien souvent le don de te dégoûter. Mais ce jour-là, tu avais petit déjeuné tout seul, les autres élèves avaient surement fini par comprendre que tu n’étais pas quelqu’un qui appréciait la compagnie d’autrui. C’était un point positif. Tu t’étais approprié une table de deux personnes pour toi seul, tu avais l’impression d’être dans un rêve, pas une parole, rien pour venir te déranger.

Ce début de journée t’avait mis de si bonne humeur que tu avais envie de t’entraîner. Danser ne suffisait pas. Tu avais commencé un entraînement de break dance depuis cinq ans maintenant et tu te devais de maintenir ton corps dans un état plus que convenable. Tu ne pouvais pas te permettre de te laisser aller. Tu avais commencé à faire attention à ton alimentation, même si tu as un faible pour tout ce qui est gras, sucré et salé, tu te forces la plupart du temps à avaler des légumes. Tu consommes également pas mal de viande, c’est un des seuls plaisir que tu te permets réellement. En plus de ça, tu te forces à te coucher le plus tôt possible pour avoir la possibilité de dormir dix heures par nuit, la fatigue n’est pas un bon facteur lorsque tu es danseur. De toute manière, tu n’aimes pas passer du temps avec les autres, tu n’as personne avec qui discuter alors tu ne perds pas de temps, tu t’entraînes, vas en cours, te nourris, te laves et rien d’autre. C’est pourquoi, ce jour-là, ce dimanche, alors que les gens normaux profiteraient de ce temps libre pour aller en ville, tu préférais te rendre au stade pour courir, entre autres choses.

Par chance il n’y avait personne. Tu avais l’impression que tout le monde avait pris la résolution de te fuir. Cette idée te laissa esquisser un sourire au coin de tes lèvres, choses plutôt rare. La seule personne qui avait réellement eu l’occasion de profiter de ton sourire durant tes années passées, c’était ta mère. Autant dire que c’était vraiment quelque chose de rare. Elle le disait elle-même. « Ton sourire est magnifique, Jong. Préserve –le et offre-le simplement à ceux que tu aimes. » Tu as toujours suivi ses conseils. Il était donc hors de question d’offrir ce privilège à qui que ce soit. Personne n’arrivait à te faire changer d’avis, personne jusque là était parvenu à te faire sourire et à créer en toi un semblant d’affection. Tu étais prêt à féliciter la première personne qui en serait capable car elle devrait endurer ta mauvaise humeur pendant pas mal de temps avant d’obtenir quelque chose. C’était surement à cause de ta nature hostile déplaisante que les gens ne s’attardaient pas sur ta personne, tu n’avais pour le moment rencontré personne d’assez obstiné ni d’assez méritant pour te voir sous un autre jour. C’est pourquoi tu ne savais même pas toi-même que tu pouvais être quelqu’un de tout autre. En fait, tu attendais surement que quelqu’un s’intéresse vraiment à toi faisant fi de ce que tu es en apparence. C’est ton désir le plus profond, celui qui est le plus enfoui au fond de toi-même.

Il faisait beau, c’était plutôt avantageux pour un entraînement convenable. Tu ne t’étais pas vraiment équipé pour la course par temps de pluie étant donné que l’athlétisme n’est pas vraiment ton domaine de prédilection. Tu ne cours pas exceptionnellement vite, tu fais ça simplement pour la remise en forme. Tu avais pris le temps de te mettre en tenue après avoir récupéré les clés du vestiaire auprès du gardien. Le fait que quelqu’un vienne faire un tour dans le coin ne te causait pas de soucis à vrai dire, tu n’as pas particulièrement d’attache matérielle. Tu aimes tes vêtements et certains objets mais au fond, si tu ne les as plus, ce n’est pas important. Seule cette gourmette que ta mère t’a offerte un jour t’importe réellement. De toute manière, elle est constamment attachée à ton poignet, tu ne la quittes jamais. Tu jettes un coup d’œil à celle-ci, l’air un peu dépité. C’est la seule chose qui te raccroche à ta mère, tu espères que grâce à ce présent tu pourras avoir l’impression qu’elle t’accompagne dans tout ce que tu entreprends. Mais tu sais bien que ce n’est qu’une illusion.

Tu t’élances sur la piste, tu commences par quelques petites foulées bien espacées. Tu respires en rythme. Tu inspires une fois, et tu expires deux fois, tu inspires une fois, et tu expires deux fois. Et ainsi de suite. Tu as entamé ton premier tour sans soucis, tu ne veux pas trop forcer. La dernière fois que tu as commencé à courir de façon trop intense parce qu’on avait osé te défier, tu avais fait une crise. Tu as du mal à respirer quand tu forces trop, tu ne sais pas d’où ça vient, le médecin de famille ne t’avait jamais déclaré d’asthme ou quoique ce soit dans le genre. Mais par prudence, tu évites de te surpasser, tu sais très bien que tu n’en es pas capable et tu ne voudrais pas te voir enlever le droit de danser. Ce ne serait vraiment pas une chose à faire. Tu t’apprêtes alors à terminer ton deuxième tour lorsque tu aperçois une silhouette au loin. Pourquoi est-ce que les bons moments ont toujours une fin ? Tu souhaites faire durer ton moment à toi le plus longtemps possible. Lorsque tu arrives au niveau de la personne en question, tu fais comme si tu ne l’avais pas vue. Après tout, pourquoi s’arrêter pour quelqu’un que tu ne connais même pas ?